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À mes camarades de classe, du primaire au collège.

À mesure que les années passent, je me rends compte combien je me suis fourvoyée quant aux intentions de mes camarades. J’ai été bête, aveugle face à la faveur qu’ils me faisaient. Jamais, au grand jamais, ils n’auraient dû être la cause de mon mal-être, de mon stress avant de me rendre à l’école. Bien au contraire ! Je m’en rends compte désormais : ils tentaient de me prévenir. Quelle idiote je fais… C’est pourquoi je vous adresse cette lettre d’excuse. Sûrement est-ce l’ironie du sort que celle que vous appeliez – que vous appelez encore – « l’intello » ou « madame je-sais-tout » se soit à ce point trompée ! Comme vous avez dû bien rire devant mon incompréhension. Aussi simplette et niaise que je le suis ! Mais je ne ferai plus cette erreur, vous pouvez me croire. Je vous prie, faites-moi confiance ! Je ne vous décevrai plus.

À présent que mon esprit est purifié, je comprends la nécessité de vos actes. Je comprends combien il était indispensable que vous me coinciez dans une « case », que vous m’encouragiez en me narguant d’avoir eu une meilleure note que moi. Cela me rajoutait une pression, mais elle était vitale ; je ne devais plus faire d’erreurs bêtes ! Je comprends pourquoi vous chuchotiez des messes-basses quand je passais à côté de vous ; ou rigoliez quand je prenais la parole – vous vouliez m’empêcher de me ridiculiser devant toute la classe en disant une ineptie, alors vous me découragiez avant ! Bien pensé ! J’ai pris conscience de la raison pour laquelle vous ne vous référiez à moi que par mon surnom attitré, ou pourquoi vous me colliez l’étiquette d’intello… Moi qui la confondais avec une cible dans le dos, je n’aurais pas pu me méprendre encore plus sur la nature de votre cadeau ! Si vous ne m’avez jamais qualifiée d’intelligente, seulement « intello » à qui vous avez donné un sens péjoratif, c’était pour que je ne devine pas tout de suite vos plans ? Je vous en félicite, cela a plus que fonctionné ! J’ai bien cru un moment que vous me détestiez pour mon intelligence… Et, oh ! Je continue d’être orgueilleuse, à penser que je suis éclairée… Si je l’étais réellement, j’aurais vu plus tôt le motif de vos actions.

Maintenant que ma réflexion n’est plus souillée, je vois l’ensemble de mes fautes ! Elles ne vous concernent plus seulement, mais mon environnement également. Devenue la plus dévouée partisane de ce qu’on appelle l’enseignement, j’adhérais à leurs idées sans réfléchir… J’ai pensé comme eux, que vous :

- dormiez en cours parce que vous étiez resté tard sur vos téléphones ;

- n’appreniez pas vos cours par flemmardise ;

- chahutiez en cours, ou jouiez avec un objet, pour déranger le professeur ;

- pointiez du doigt ceux qui ont des bonnes notes par jalousie ou par pure méchanceté ;

- vous rebelliez contre le professeur par insolence ;

- abusiez de l’excuse de la santé mentale pour expliquer vos mauvaises notes etc.

Que nenni ! Vous essayiez de vous accrocher avec désespoir au bateau que sont les attentes de la société, à l’incongruité du système scolaire ! J’aurais dû le comprendre pourtant… Je vivais les mêmes choses que vous… N’aurais-je pas dû percevoir votre peur ? Votre appel de détresse ? Oh, je le sais désormais. Vous êtes épuisés de devoir faire vos devoirs, en rentrant d’une journée de 8h-18h. Vous voyez que vos efforts sont vains ; les pays du Nord ont pourtant de meilleurs taux de réussite scolaire, alors qu’ils travaillent moins que vous, que nous ! Montaigne nous avait prévenus, déjà cinq cents ans auparavant… « Savoir par cœur n’est pas savoir », comment avons-nous pu ignorer de sages paroles ? Voilà pourquoi vous ne vous embêtez pas à apprendre par cœur ! Vous savez déjà qu’avec un effectif de 30 élèves par classe, c’est peine perdue… Plus encore pour les élèves neuro-atypiques : comment sont-ils censés apprendre, en étant assis sur une chaise pendant six à huit heures, alors que l’un d’eux a un trouble déficitaire de l’attention ? Est-ce que le système pense aussi que comparer les élèves entre eux – deux personnes complètement différentes – a son utilité ? Il crée des tensions, au lieu d’encourager l’entraide. Enfin, en vous moquant inlassablement de moi, vous vouliez me dégoûter de l’école, pour que je puisse alors prendre conscience que le temps de l’intelligence scolaire – celle du quotient intellectuel – est révolu ! Place à l’intelligence multiple ! Gardner le savait, lui. Vous aussi.

Aujourd’hui, je vous remercie d’avoir tenté de me faire voir la vérité. Je n’aurais pu trouver meilleurs enseignants que vous, qui m’avez dispensé des connaissances nécessaires pour ne plus obéir aveuglément à l’école et pour me rendre compte de l’erreur du système scolaire. Vos moqueries étaient une part essentielle de mon éducation, c’est pourquoi je ne vous en tiens pas rigueur.

Merci, mes chers camarades, pour toutes les leçons que vous m’avez permis de pleinement comprendre. Je m’assurerai de perpétuer votre enseignement, à mon tour. Je suis impatiente de continuer à avancer dans mes études et de rencontrer des gens aussi formidables que vous.

Avec toute mon amitié,

Susan MOULINOT, l’intello qui a enfin compris.